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Bruno Dumont

P’tit Quinquin

Rendre le Nord cinématographique

En sortant P’tit Quinquin, Bruno Dumont a réussi à rendre le Nord Pas-de-Calais cinématographique au travers d’une comédie burlesque. En filmant les paysages et des personnages hauts en couleurs tels que le duo de policer Van Der Weyden/Carpentier, Ch’tiderman ou encore l’oncle Dany dans le village côtier de la Côte d’Opale, Audresselles.

P’tit Quinquin est une mini-série française réalisée par Bruno Dumont (Flandres, La vie de Jésus). La série est d’abord sortie au festival de Cannes en 2014 lors de la Quinzaine des réalisateurs avant d’être diffusée sur ARTE en septembre de la même année.

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Bruno Dumont sur le tournage d’une des premières scènes de P’tit Quinquin

Découvrons ensemble l’un des plus grands réalisateurs français actuels, originaire du Nord, Bruno Dumont, de nombreuses fois récompensé. Je vous préviens tout de suite, son cinéma est très particulier et ne peut pas convenir à tout le monde, sa réalisation étant totalement singulière. C’est un cinéaste qui, plutôt que de chercher à transformer les choses imparfaites dans le but de les magnifier et les rendre esthétiques choisit au contraire de rendre visible les failles, les imperfections, les aspérités, la vraie nature des choses sans travestissement afin de saisir le sublime qui se cache dans cette vérité.

Magnifier la laideur d’un corps

On retrouve cela dans son rapport aux acteurs, il n’engage principalement que des amateurs n’ayant aucune expérience en tant que comédiens, et leur fait jouer de manière décalée, presque grotesque, faisant en permanence ressortir leur amateurisme. Mais, de ce fait, il accentue aussi tous leurs traits singuliers et spontanés, des tics, des maladresses, des hésitations, derrière un vernis ouvertement exagéré et caricatural ressort un relief, une profondeur que peu d’acteurs arrivent à atteindre, quelque chose d’authentique, de réel.

« Pas possible que le meilleur acteur comique jamais vu sur cette planète soit un inconnu du nom de Bertrand Pruvost, encore jardinier il y a quelques mois, qui multiplie les instants de jeu de son plein gré ou à son corps défendant , sans qu’on puisse départager l’un de l’autre. »

Stéphane Delorme, journaliste aux Cahiers du Cinéma
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Le Commandant Van der Weyden et le Lieutenant Rudy Carpentier

Aussi, chose très singulière à son cinéma, il filme sa région, la Côte d’Opale, ses gens et ses paysages. Le décor étant un élément central : un village, une dune, une plage, un bunker tagué. Tout est saisi à l’état brut, et sans artificialiser son décor. Il lui donne toujours une place capitale dans le cadre, il prend la France telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle devrait être.

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La plage du village d’Audresselles

Un cinéma plein de contrastes

Son cinéma est avant tout l’art des contradictions et des contrastes : par ses mélanges d’idées et de tons improbables, on ne sait jamais si on doit rire ou pleurer, mépriser ou admirer, être mal à l’aise ou pris de tendresse, et finalement on ressent un peu tout cela à la fois. Des cocktails d’émotions subtiles et uniques qui rendent son cinéma irremplaçable. Cela explique pourquoi d’après nous, le meilleur point d’entrée à son cinéma est la série P’tit Quinquin, une comédie mais qui est entièrement fondée sur des intrigues tragiques. En effet, pour Dumont, le comique n’est pas distinct de la tragédie, il ne sert pas à s’en détourner. Au contraire, il pousse juste un peu le décalage de la mise en scène et du jeu d’acteur, juste suffisamment pour que la tragédie prête à rire. Ainsi, le comique est un prolongement et surtout une transcendance du tragique.

« Le comique rôde autour du tragique, il n’est pas loin. »

Bruno Dumont

Bruno Dumont perpétue l’héritage de Robert Bresson

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Robert Bresson lors d’une projection du Journal d’un curé de campagne

En sortant P’tit Quinquin, Bruno Dumont a une fois de plus affirmé son héritage bressonnien. En effet, le réalisateur au travers ses choix de mises en scène et des thématiques ne fait que confirmer les nombreuses références au cinéma de Robert Bresson.

P’tit Quinquin est une mini-série française réalisée par Bruno Dumont (Hadewijch, L’humanité). La série marque une rupture dans sa carrière déjà de par son format, mais surtout car le réalisateur nous livre une comédie haute en couleur. Mais qu’à donc en commun Bruno Dumont avec Robert Bresson, le réalisateur qui osa dire que « Le cinéma sonore a inventé le silence. »

Nous retrouvons chez chacun d’entre eux des personnages capables des pires actions. Des faits d’une violence inouïe sans que cela soit annoncé au préalable dans le scénario. Rendant la fin de la série d’autant plus belle, en étant au cœur du mal. Cette violence faisant d’autant plus contraste avec la banalité des vacances d’été, mais surtout des quelques scènes de grande tendresse. Bresson faisait de même dans L’argent, nous amenant dans une incompréhension, surprenant complètement notre pensée.

Chaque partie du corps est autonome

Dans Un condamné à mort s’est échappé, Bresson souhaite offrir à chaque instant et à chaque geste du corps une autonomie propre. En brisant les hiérarchies, il donne alors une volonté aux différents membres. Cela permet d’insuffler pour la première fois au cinéma une perception de la puissance du mouvement. Bruno Dumont joue d’une même « dé-liaison des corps » . On le remarque principalement dans le jeu du Commissaire qui divague à tout va, se mettant même à ne plus savoir marché dans la cour d’une ferme.

 Oscars aux acteurs dont le corps, la figure, la voix, ne font pas l’effet d’être à eux, ne donnent pas la certitude qu’ils leur appartiennent. »

Robert Bresson, Notes sur le cinématographe

Le réalisateur, au montage va se servir et profiter de la science de l’acteur. En fragmentant par le choix des plans et des actions, celui-ci valorisera ces éléments. Et le travail sur la bande-son en privilégiant les bruits par rapport aux paroles ne fera que rendre les aspérités de ces actions que plus spectaculaires.

« [Le montage] C’est quasiment de la sculpture. C’est du retrait… »

Bruno Dumont

« Condamnés sont les films dont les lenteurs et les silences se confondent avec les lenteurs et les silences de la salle. »

Robert Bresson, Notes sur le cinématographe
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