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Note sur les groupes d’affinité, Murray BOOKCHIN – Texte

Bookchin, M. (2016). Au-delà de la rareté : L’anarchisme dans une société d’abondance (H. Arnold, D. Blanchard, & A. Stevens, Trad.; Écosociété). les Éditions Écosociété DG diffusion.

Traduction de Daniel BLANCHARD et Helen ARNOLD de « A Note on Affinity Groups ».

Le terme « Groupe d’affinité » est la traduction de l’expression espagnole « grupo de afinidad », qui désignait, avant la prise de pouvoir en Espagne par Franco, une forme d’organisation qui était à la base de la redoutable Federación Anarquista Ibérica, la Fédération anarchiste ibérique (La FAI était constituée des militants les plus idéalistes de la Confédération nationale des travailleurs – la CNT –, l’important syndicat anarcho-syndicaliste espagnol.) Une imitation servile des formes d’organisation et des méthodes de la FAI ne serait ni possible ni souhaitable de nos jours. Les anarchistes espagnols des années 1930 étaient en effet confrontés à des problèmes sociaux entièrement différents de ceux que doivent affronter les anarchistes américains d’aujourd’hui. La forme des groupes d’affinité a cependant des caractéristiques qui conviennent à n’importe quelle situation sociale. Ces caractéristiques ont été souvent adoptées intuitivement par les militants radicaux américains, qui appellent de telles organisations des « collectifs », des « communautés », des « familles ».

Les groupes d’affinité pourraient aisément être considérés comme une nouvelle forme de famille élargie, dans laquelle  les liens de parenté sont remplacés par des relations humaines profondément empathiques – des relations alimentées par des idées et une pratique révolutionnaire communes. Bien avant que le mot « tribu » soit devenu un terme populaire de la contre-culture américaine, les anarchistes espagnols avaient appelé leurs congrès « assembleas de las tribu » – assemblées des tribus. Les dimensions d’un groupe d’affinité sont délibérément maintenues dans des limites modestes, pour permettre à tous les membres un degré d’intimité maximal. Autonome, communautaire, directement démocratique, le groupe combine une théorie révolutionnaire et un style de vie révolutionnaire dans son fonctionnement quotidien. Il crée un espace libre dans lequel les révolutionnaires peuvent se ressourcer, se refaire en tant qu’individus et aussi en tant qu’êtres sociaux.

Les groupes d’affinité sont destinés à remplir la fonction de catalyseurs du mouvement populaire, non celle d’« avant-garde ». Ils y contribuent par des initiatives et par une prise de conscience ; ils ne sont ni un « état-major général » ni une source de « commandement ». Ces groupes prolifèrent au niveau moléculaire et ont leur propre « mouvement brownien »1. Ce sont les situations de la vie qui déterminent la fusion de tels groupes ou leur séparation, et non un ordre bureaucratique venu d’un centre de commande lointain. Dans des conditions de répression politique, les groupes d’affinité offrent une résistance élevée à l’infiltration policière. En raison de l’intimité des relations qui unissent les membres d’un tel groupe, y pénétrer est souvent difficile, et même si une infiltration a lieu, il n’existe pas, dans un tel groupe, d’appareil central capable de fournir à ceux qui l’infiltreraient une vue d’ensemble du mouvement en tant qu’organisme et en tant que tout. Même dans des conditions aussi difficiles, les groupes d’affinité peuvent garder le contact par leurs périodiques et leur littérature.

D’autre part, durant les périodes où les activités peuvent se déployer davantage, rien n’empêche les groupes d’affinité de travailler en commun, très étroitement et à n’importe quelle échelle, selon les exigences de la situation et de la vie. Ils peuvent aisément se fédérer en assemblée locale, régionale ou nationale, pour pouvoir mettre au point des stratégies communes. Ils peuvent aussi créer des comités d’action temporaires (du genre de ceux des étudiants et ouvriers français en 1968) pour pouvoir coordonner des tâches spécifiques. Les groupes d’affinité gardent toujours leurs racines dans le mouvement populaire2. Ils restent fidèles aux formes sociales imaginées par la population au cours de la révolution, non aux impératifs d’une bureaucratie impersonnelle. Leur autonomie et leur ancrage dans une réalité locale résultent, pour ces groupes, dans le maintien d’une grande faculté de jugement et d’une sensibilité ouverte sur des solutions nouvelles lorsqu’elles se présentent. Intensément expérimentaux et diversifiés dans leurs styles de vie, ces groupes agissent comme stimulants les uns par rapport aux autres, et par rapport au peuple en mouvement. Chacun de ces groupes essaie de se donner les moyens de fonctionner pour l’essentiel de manière indépendante. Chacun cherche à rassembler une somme de connaissances et d’expériences aussi étendue que possible, et ce, afin de pouvoir maîtriser les limitations sociales et psychologiques imposées au développement des individus par la société bourgeoise. Chacun fonctionne à la manière d’un noyau et d’un foyer et tente de faire avancer le mouvement révolutionnaire spontané des gens jusqu’au point où, finalement, le groupe est à même de disparaître, en se fondant et se dissolvant dans les formes organiques de la société que la révolution aura créées.

Murray BOOKCHIN

  1. En physique, un mouvement brownien est un mouvement aléatoire et irrégulier, tel celui d’une particule plongée dans un fluide ou un gaz, sans autre résistance ou influence que son interaction avec d’autres particules. ↩︎
  2. C’est-à-dire le mouvement spontané de résistance de la population. ↩︎
Posted in Élections, Municipalisme.

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