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Entretien avec Ben MOREA – Transmettre la flamme insurrectionnelle

Au cours des Rencontres Internationales Anti-Autoritaires célébrant le 150e anniversaire de la première Internationale anti-autoritaire à Saint-Imier en Suisse, nous avons pu réaliser un entretien avec Ben MOREA. Ainsi, il nous faut vous expliquer les circonstances de notre rencontre avec cet homme et la place que celui-ci occupe dans l’histoire de la lutte anti-autoritaire.

Après une vie de tumultes et de luttes perpétuelles, Ben MOREA s’est alors posé au cours des Rencontres Internationales Anti-Autoritaires de cette année 2023 tant pour réaliser une intervention suivi d’une discussion sur l’Animisme révolutionnaire : « Le champ unifié : art, politique et spiritualité » ; que pour réaliser un entretien inattendu avec l’équipe du Mouvement Municipal présente sur place.

Mais qui est Ben MOREA ?

Né en 1940 à Brooklyn, New York ; Ben MOREA est un activiste américain, aujourd’hui principalement artiste et peintre. C’est un homme qui a choisi de vivre discrètement toute sa vie, et pour cause ! Il a longtemps été un anarchiste insurrectionnel, prônant la Révolution par l’action directe et la guérilla urbaine (urban guerilla1), notamment au sein du groupe Up Against The Wall MotherFucker (UAW/MF).

Une organisation violente au message artistique

UAW/MF portait un message à mi-chemin entre le dadaïsme et le situationnisme, prônant un art qui devait être révolutionnaire (art had to be revolutionary). Un art qui s’extirpe du rapport capitaliste et mercantile qui s’en empare. En sachant cela, il n’est donc pas étonnant de savoir que Ben MOREA a été l’ami de la très controversée Valérie SOLANAS, féministe ouvertement misandre ayant tenté d’abattre Andy WARHOL – artiste qui, selon MOREA, a ruiné l’art. En effet, WARHOL orienta l’art vers une forme capitaliste, celle de la pop culture et des ventes aux enchères bourgeoises. UAW/MF cherchait à s’affranchir de cela à tout prix, et ancrait donc sa pratique révolutionnaire dans une démarche artistique qui formait une certaine contre-culture libertaire.

UAW/MF n’était pas la première organisation de Ben MOREA, au contraire. Quelques années auparavant, il fondait avec Dan GEORGAKAS le groupe Black Mask et son journal bimensuel éponyme, sensiblement similaire à UAW/MF sur le fond, bien moins underground sur la forme. De 1966 à 1968, dix numéros de Black Mask furent parus et vendus 5 cents l’unité – mais en réalité ces centimes n’étaient jamais extorqués, Ben MOREA nous confiant qu’il ne faisait jamais payer (I never made them pay) les intéressés, le prix fixé ayant seulement pour but de s’assurer qu’ils ne prendraient pas aveuglément ce journal pour le jeter une poubelle plus loin.

« I sold them 5 cents each, but in reality, I never made people pay. I set up that price to make sure that they won’t throw it away after taking it for free. »

Ben MOREA, juillet 2023

Revêtir le Black Mask

L’organisation UAW/MF fait donc suite à celle de Black Mask, afin de revêtir une apparence bien plus discrète et violente à la fois ; tout particulièrement lorsque de l’autre côté de l’Atlantique prenaient place les évènements de Mai 68 (undercover during the may 68 protests). Ben MOREA entra en contact avec d’illustres protagonistes de cette période de l’histoire socialiste, à savoir les membres de l’Internationale Situationniste.

D’après ses dires, un situationniste allemand aurait été envoyé les rencontrer aux États-Unis, rapportant par la suite à Guy DEBORD et à Raoul VANEIGEM l’idéalisme et la sauvagerie (they said we were wild, we were too wild) des militants américains. C’est Raoul VANEIGEM qui se chargea de vérifier cela par lui-même, rencontrant Dan GEORGAKAS – et non pas Ben MOREA -, ce dernier définissant son acolyte comme un poète idéaliste (he was a poet, he was too idealist and mystic, spiritual), qui n’avait pas été ni même semblé assez convaincant pour les matérialistes radicaux que sont les situationnistes.

Après quelques échanges virulents, l’Internationale Situationniste mis un point final au débat, considérant que ces activistes ne pouvaient être des alliés objectifs. Et Guy DEBORD insulta la personne qui osa les défendre de « crétin confusionniste ». Cette personne, qui n’était autre que… Murray BOOKCHIN – théoricien du municipalisme libertaire, dont nous nous revendiquons -, et ami proche de Ben MOREA.

Une amitié

Bien que les opinions de Murray BOOKCHIN et de Ben MOREA différaient sur de nombreux points, ceux-ci entretenaient une amitié très forte. L’un, municipaliste, avait alors pour habitude de taquiner l’autre, insurrectionnaliste, en le qualifiant d’adepte de BAKOUNINE (he used to say of me that I was a bakuninist). Alors que Ben MOREA préférait se définir comme un anarchiste animiste (animist anarchist).

Une chose est sûre, c’est que leurs désaccords (we used to argue all the time) étaient rapidement mis de côté lorsqu’il s’agissait de critiquer ensemble le caractère narcissique de Guy DEBORD (he had too much ego), qui avait tant mené à l’invective entre ces protagonistes, qu’à la dissolution de l’Internationale Situationniste : « DEBORD expelled anyone that disagreed with him, until he had to expel himself. » ; « I said : “You can’t expel me. I am no member of the Situationists.” ».

Rencontre avec Ben MOREA

Nous avons fait la rencontre de Ben MOREA dans le plus grand des hasards lors des Rencontres Internationales Anti-Autoritaires / Congrès de Saint-Imier de 2023. Alors que nous animions l’emplacement qui nous était dédié pour rencontrer différents libertaires venus du monde entier, ce vieil homme est venu devant nous, d’un pas hésitant, se positionnant une première fois en face de notre stand avant de rebrousser chemin. Il s’est alors ravisé, et est venu à notre rencontre en pointant du doigt un livre de Murray BOOKCHIN que nous avions exposé, expliquant : « I knew him. He was my friend. ». C’est à partir de cette découverte improbable que nous avons commencé à converser sur des sujets tous plus différents les uns des autres, si bien que notre porte-parole et co-fondateur Ἄτη – Até (le gars que vous voyez en entretien) lui a alors proposé de s’entretenir avec nous – offre que Ben MOREA a, comme vous pouvez le constater, acceptée.

Un entretien peut-être précipité ?

L’Internationale ayant été un événement très chronophage dans sa courte durée, en plus d’être épuisant, cette vidéo a été préparée et filmée de façon très rapide et précipitée, sans la possibilité d’effectuer des recherches poussées comme ce fut le cas pour l’entretien précédent avec François BÉGAUDEAU. Nous n’avions pas non plus pu adapter à temps nombre de nos questions en fonction des réponses données par Ben MOREA dès les premières minutes. Car c’est au cours de cet échange que nous constatons un fossé militant entre Ben et nous ; et ce non de façon péjorative nécessairement. Nous sommes, de notre côté, philosophiquement matérialistes et assez ancrés dans la  théorie (autant que la praxis, évidemment), tandis que lui rejette tout cela, pour ne prôner qu’une pratique révolutionnaire violente et totale (total revolution). Cela fut très instructif pour nous, rejoignant ainsi sur quelques points notre premier entretien avec François BÉGAUDEAU et le fait qu’« il faut savoir remettre la théorie à sa place ».

Un échange au-delà de l’entretien

Une fois cet entretien improvisé enregistré, nous avons continué à échanger les jours suivants pendant l’événement avec Ben MOREA, qui continuait à s’y balader. Celui-ci nous a même permis de photographier des exemplaires traités des dix numéros de Black Mask, nous laissant carte blanche pour les traduire en français – et ce, peut-être pour la première fois depuis leur parution. Il n’est pas impossible que les meilleurs articles de ce journal vieux de 50-60 ans paraissent un jour sur notre site ou dans un autre format…! D’autant plus lorsque l’on sait que ces textes sont les derniers rédigés par ce doyen de l’insurrection (I never wrote again after that).

Nous avons également pu parler à Ben MOREA d’une discrète confession de la part de Raoul VANEIGEM, qui fut donnée dans un entretien pour Ballast en 2019 : « Ce fut une erreur de sous-estimer BOOKCHIN et l’importance de l’écologie. Ce ne fut pas ma seule erreur ni la seule de l’[Internationale Situationniste]. » À ce propos, Ben nous confia qu’il était sincèrement ravi que cette prise de recul ait pu avoir lieu après toutes ces années (I’m glad VANEIGEM said a word) – nous nous souviendrons toujours du timide sourire qui s’est alors esquissé sur son visage, le regard nostalgique. Peut-être un jour verrons-nous une réconciliation des méthodes de luttes se forger, précédées par le désir émancipateur de voir advenir une société libertaire ?

Nous tenons à remercier encore une fois Ben pour sa patience, son agréabilité et son apport personnel à notre cheminement libertaire. Nous souhaitons aussi remercier les deux camarades sympathisants du Mouvement que nous avons rencontrés à Saint-Imier, et qui, à l’aide de leurs caméras, ont pu nous permettre de filmer sous trois angles différents pour cet entretien.

 

  1. Les citations présentes en italique ci-dessus sont une retranscription à l’identique des propos que Ben MOREA a pu tenir au cours de notre rencontre avec lui lors du 150e anniversaire de la première Internationale anti-autoritaire à Saint-Imier en Suisse qui se tenait du 19 au 23 juillet 2023. Celles-ci sont présentes afin de conserver une part de sa spontanéité orale dans notre écriture. ↩︎
Posted in Écologie sociale, Littérature, Municipalisme.

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